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12 Nov 2025

Action de groupe pour discrimination : la Cour de cassation admet la prise en compte de faits antérieurs à la loi de 2016

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Dans un arrêt du 5 novembre 2025, la Cour de cassation apporte une importante précision sur le champ d’application temporel de l’action de groupe en matière de discrimination au travail, instaurée par la loi du 18 novembre 2016.
Si cette loi limite l’action aux manquements postérieurs à son entrée en vigueur, la Cour admet que, pour les discriminations de carrière, le juge peut tenir compte de faits antérieurs dont les effets ont perduré après cette date.

 

1. L’action de groupe pour discrimination : un dispositif instauré en 2016

Créée par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016 (article 87), l’action de groupe permet à un syndicat représentatif d’agir en justice contre un employeur pour faire cesser une discrimination collective et obtenir la réparation des préjudices subis (articles L. 1134-7 et L. 1134-8 du Code du travail).

Toutefois, l’article 92, II de cette même loi limite son champ d’application : seules peuvent être jugées les actions portant sur des faits ou manquements postérieurs au 20 novembre 2016.
Cette restriction a été confirmée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 6 février 2025, jugée conforme à la Constitution.

À noter : depuis la loi du 30 avril 2025 (loi n° 2025-391), un cadre juridique unifié régit désormais les actions de groupe, sans limitation temporelle. Mais la loi de 2016 demeure applicable aux actions introduites avant le 3 mai 2025, comme celle jugée ici.

 

2. Le litige : la CGT dénonce une discrimination collective chez Safran

En mai 2017, la CGT engage la première action de groupe en France contre Safran Aircraft Engines, invoquant une discrimination collective dans les carrières et rémunérations de 36 représentants du personnel CGT.

La Cour d’appel de Paris, en mars 2024, rejette l’action au motif que les faits allégués étaient antérieurs au 20 novembre 2016.
Le syndicat se pourvoit en cassation, soutenant que les discriminations de carrière ont un caractère continu et que leurs effets persistent au-delà de la date d’entrée en vigueur de la loi.

 

3. La décision : le juge doit examiner les faits antérieurs dont les effets perdurent

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.
Elle estime que, pour apprécier un manquement postérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016, le juge peut tenir compte de faits antérieurs, dès lors qu’ils produisent encore leurs effets après cette date.

Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une discrimination de carrière n’est pas un fait ponctuel, mais une situation durable, qui se manifeste tout au long du parcours professionnel du salarié (Cass. soc., 31 mars 2021, n° 19-22.557 ; 23 juin 2021, n° 20-10.020 ; 19 avril 2023, n° 21-15.751).

Autrement dit :

Pour juger de la discrimination, le juge doit prendre en compte tous les éléments de fait dont les effets perdurent, même si seuls les préjudices postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi peuvent être indemnisés.

 

4. Application du régime probatoire en matière de discrimination collective

La Cour rappelle également les règles de preuve issues de l’article L. 1134-1 du Code du travail.
Elle reproche à la cour d’appel d’avoir procédé à un examen individuel des situations de salariés, alors qu’il fallait apprécier si la CGT présentait des éléments de fait laissant supposer une discrimination collective fondée sur un même motif discriminatoire et imputable à un même employeur.

L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris autrement composée, qui devra à la fois :

  • examiner les faits antérieurs à 2016 ayant produit leurs effets au-delà de cette date,
  • et apprécier globalement l’existence d’une discrimination collective.

Cass. soc., 5 novembre 2025, n° 24-15.269 FS

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