Enquête après un signalement de discrimination ou de harcèlement sexuel : la Défenseure des droits donne la marche à suivre aux employeurs
Face aux nombreuses réclamations reçues, la Défenseure des droits a publié une décision-cadre le 5 février 2025 pour guider les employeurs dans la conduite des enquêtes internes faisant suite à des signalements de discrimination ou de harcèlement sexuel.
Cette méthodologie vise à garantir le respect des principes de confidentialité, d’impartialité, d’objectivité et de rigueur.
1/ Constat et objectifs de la décision-cadre
La Défenseure des droits souligne plusieurs problématiques :
- La persistance des discriminations et du harcèlement sexuel en entreprise.
- L’hétérogénéité des pratiques d’enquête interne et le manque de rigueur de certaines d’entre elles.
- L’absence de cadre juridique précis, rendant les procédures incertaines.
Face à ces constats, elle propose aux employeurs une méthodologie adaptable aux entreprises, y compris celles de petite taille, afin de structurer efficacement le traitement des signalements.
2/ Mise en place de dispositifs d’écoute et de recueil des signalements
Dispositifs d’écoute et de recueil
Les employeurs sont invités à mettre en place des dispositifs accessibles et transparents :
- Accès via différents canaux : mail, téléphone, accueil physique, recours aux représentants du personnel ou au référent harcèlement sexuel.
- Dispositif ouvert aux candidats, salariés, anciens salariés, intérimaires et stagiaires.
- Séparation possible entre la cellule d’écoute et le dispositif de signalement.
- Formation des membres des dispositifs sur le cadre juridique applicable.
- Information des salariés sur ces dispositifs, notamment via l’intranet.
Le dispositif peut être interne ou externalisé selon les moyens disponibles.
2/ Traitement du signalement : les étapes essentielles
a) Recueil du signalement
- Accuser réception du signalement.
- Demander au salarié les éléments appuyant son signalement (témoignages, mails…).
- Garantir la confidentialité des informations.
- Prendre en compte les signalements anonymes.
b) Ouverture et conduite de l’enquête interne
- L’enquête doit être ouverte dans un délai raisonnable, ne devant pas excéder deux mois.
- Elle doit être menée même si la victime ou l’auteur présumé des faits est en arrêt maladie ou a quitté l’entreprise.
- L’enquête ne doit pas être suspendue en cas de procédure pénale, civile ou administrative en cours.
c) Protection des protagonistes
L’employeur doit prendre des mesures pour protéger la victime présumée et éviter toute pression sur les témoins et la personne mise en cause :
- Préparer la reprise de la victime si elle est en arrêt de travail.
- Transmettre rapidement les coordonnées du médecin du travail aux personnes concernées.
- Éviter tout contact entre la victime présumée et la personne mise en cause (mise à pied conservatoire, télétravail…).
- Privilégier, si nécessaire, l’aménagement des conditions de travail de la personne mise en cause plutôt que celles de la victime.
- Rappeler par écrit l’interdiction des représailles envers la victime et les témoins.
3/ Conduite de l’enquête : principes à respecter
a) Méthodologie et information des parties
- Définir et formaliser la méthodologie d’enquête en informant le comité social et économique.
- Notifier l’ouverture de l’enquête à la victime présumée, à la personne mise en cause et, si nécessaire, aux témoins.
- Rappeler par écrit l’obligation de confidentialité et faire signer une attestation aux personnes auditionnées.
b) Sélection des enquêteurs
- L’enquête doit être menée par au moins deux personnes.
- Les enquêteurs doivent être indépendants du service concerné et formés aux règles sur les discriminations et le harcèlement sexuel.
- L’employeur ne doit exercer aucune pression sur les enquêteurs.
c) Auditions et recueil des éléments
- Doivent être entendus : la victime présumée, la personne mise en cause (en dernier), les témoins pertinents, ainsi que les responsables hiérarchiques concernés.
- Peuvent être entendus : le médecin du travail, d’anciens collègues, les représentants du personnel ou l’inspection du travail.
- La personne auditionnée peut être accompagnée d’un représentant du personnel ou d’un interprète.
- L’anonymat des témoins peut être préservé sous certaines conditions.
- Les auditions doivent se dérouler dans un lieu garantissant la confidentialité et évitant toute pression.
c) Rédaction et conservation des comptes rendus
- Retranscrire les auditions de manière exhaustive pour garantir leur traçabilité.
- Faire relire et signer les comptes rendus par les personnes auditionnées.
- Rédiger un rapport d’enquête détaillant les faits signalés, les éléments recueillis et les mesures proposées.
- Conserver ce rapport pour une éventuelle procédure.
4/ Qualification des faits et sanctions
L’employeur est responsable de la qualification juridique des faits et doit déterminer si une discrimination ou un harcèlement sexuel est avéré.
Il lui appartient également de prononcer une sanction disciplinaire appropriée, en respectant le principe de proportionnalité.
La victime doit être informée des sanctions prises contre l’auteur des faits.
Par ailleurs, un bilan annuel des signalements, sans données nominatives, doit être communiqué aux référents égalité/harcèlement sexuel et aux représentants du personnel.
5/ Conclusion
Cette décision-cadre de la Défenseure des droits constitue un guide méthodologique complet pour les employeurs en matière d’enquêtes internes sur la discrimination et le harcèlement sexuel.
Elle insiste sur la rigueur, la transparence et la protection des protagonistes, tout en rappelant l’obligation légale de sécurité pesant sur l’employeur.
Défenseur des droits, décision-cadre n° 2025-019 du 5 février 2025