Alerte « danger grave et imminent » : qui peut saisir le juge judiciaire en cas de divergences
Lorsqu’un désaccord survient sur les mesures à prendre après une alerte pour danger grave et imminent, le CSE n’a pas la prérogative de saisir le juge judiciaire.
Dans un avis du 12 février 2025, la Cour de cassation précise que cette compétence appartient uniquement à l’inspecteur du travail, à charge pour le juge des référés d’évaluer l’existence du danger invoqué.
1. Rappel sur la procédure d’alerte pour danger grave et imminent
Lorsqu’un membre élu du CSE constate un danger grave et imminent, il peut déclencher une alerte auprès de l’employeur, entraînant une enquête immédiate en sa présence (c. trav. art. L. 4131-2).
L’employeur doit alors prendre les mesures nécessaires pour y remédier (c. trav. art. L. 4132-2). En cas de désaccord sur la réalité du danger ou les mesures à adopter, il doit réunir d’urgence le CSE sous 24 heures maximum et informer immédiatement l’inspecteur du travail et l’agent de la CARSAT (c. trav. art. L. 4132-3).
Si aucun accord n’est trouvé entre l’employeur et la majorité du CSE, l’employeur est tenu de saisir l’inspecteur du travail, qui peut :
• Adresser une mise en demeure à l’employeur (c. trav. art. L. 4721-1).
• Saisir le juge des référés pour ordonner toute mesure nécessaire, y compris la fermeture temporaire d’un site (c. trav. art. L. 4732-1).
La question posée à la Cour de cassation était de savoir si les représentants du personnel pouvaient eux-mêmes saisir le juge judiciaire.
2. Demande d’avis sur la saisine du juge judiciaire
Dans le cadre d’une réorganisation impliquant la délocalisation de salariés, des membres du CHSCT (aujourd’hui CSE) ont déclenché une alerte pour danger grave et imminent le 16 mars 2024.
Face à un désaccord sur les mesures à prendre, ces élus ont décidé de saisir le juge des référés pour :
• Obtenir une expertise d’un bureau d’étude spécialisé.
• Suspendre la délocalisation des salariés concernés.
Le président du tribunal judiciaire, saisi en référé, a sollicité l’avis de la Cour de cassation sur cette question (c. org. jud. art. L. 441-1).
3. Seul l’inspecteur du travail peut saisir le juge judiciaire en cas de désaccord
3.1. L’expertise demandée par le CSE devait suivre une autre procédure
La Cour de cassation rappelle que les représentants du personnel disposent déjà d’une procédure spécifique pour obtenir une expertise en cas de risque grave (c. trav. art. L. 2315-94).
Dans une entreprise d’au moins 50 salariés, le CSE peut désigner un expert rémunéré par l’employeur lorsqu’un risque grave et avéré est constaté. En cas de contestation, l’employeur peut saisir le tribunal judiciaire, qui statue en urgence (c. trav. art. L. 2315-86).
La Cour conclut que le CSE ne peut pas demander directement une expertise au juge judiciaire dans le cadre de l’alerte danger grave et imminent. Cette restriction s’applique aussi aux syndicats.
3.2. La suspension du projet relève de l’inspecteur du travail
Concernant la demande de suspension de la réorganisation, la Cour précise que le juge des référés peut être saisi pour faire cesser un danger grave et imminent.
Toutefois, cette saisine incombe uniquement à l’inspecteur du travail. Le CSE ou l’employeur ne peuvent pas le faire directement.
À noter : la Cour de cassation rappelle que c’est au juge judiciaire d’apprécier l’existence du danger grave et imminent, et non à l’inspecteur du travail. Ainsi, en cas de désaccord, ce dernier doit obligatoirement saisir le juge des référés.
4. Quelle alternative pour le CSE en cas de risque grave ?
Si le CSE ne peut pas saisir directement le juge judiciaire, il dispose d’autres recours pour agir en matière de prévention des risques :
• Obligation de sécurité de l’employeur : Le CSE peut saisir le juge des référés en invoquant l’obligation légale de sécurité de l’employeur (c. trav. art. L. 4121-1 et L. 4121-2).
• Expertise pour risque grave : Dans les entreprises de plus de 50 salariés, le CSE peut désigner un expert pour évaluer un risque et contraindre l’employeur à en supporter les coûts.
Ces dispositifs permettent au CSE de défendre la santé et la sécurité des salariés sans passer par la procédure réservée à l’inspecteur du travail.
Conclusion
L’avis de la Cour de cassation du 12 février 2025 clarifie les rôles en cas d’alerte pour danger grave et imminent :
• Seul l’inspecteur du travail peut saisir le juge des référés pour imposer des mesures correctives.
• Le CSE dispose d’autres voies d’action, notamment l’expertise pour risque grave et le référé sécurité.
Les employeurs doivent donc anticiper ces procédures et mieux cadrer leur dialogue avec le CSE pour éviter d’éventuels blocages judiciaires.
Cass. avis 12 février 2025, B. avis n° 15003