Inaptitude et défaut d’information relatif à l’impossibilité de reclassement
Lorsqu’un employeur ne parvient pas à reclasser un salarié inapte, il doit lui notifier par écrit les motifs s’opposant à son reclassement.
En cas de manquement à cette obligation, le salarié peut prétendre à des dommages et intérêts, mais seulement s’il prouve avoir subi un préjudice.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 29 janvier 2025, confirme que cette indemnisation n’est pas automatique.
1. L’employeur doit chercher à reclasser le salarié inapte et, en cas d’impossibilité, lui communiquer les motifs s’y opposant
Lorsqu’un salarié est déclaré inapte, l’employeur doit rechercher un emploi approprié à ses capacités, sauf dispense du médecin du travail (articles L. 1226-2, L. 1226-2-1, L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail).
Si aucun reclassement n’est possible, l’employeur doit communiquer au salarié les motifs empêchant ce reclassement avant d’engager la procédure de licenciement (articles L. 1226-2-1 et L. 1226-12 du code du travail).
À noter : cette obligation d’information ne s’applique que si aucun emploi n’est disponible ou si le médecin du travail a dispensé l’employeur de toute recherche de reclassement.
En revanche, si le salarié refuse les propositions de reclassement, l’employeur n’a pas à justifier son impossibilité de reclasser (Cour de cassation, chambre sociale, 24 mars 2021, n*19-21263).
La question posée à la Cour de cassation dans cette affaire était la suivante : le seul manquement à cette obligation d’information ouvre-t-il automatiquement droit à réparation ?
2. La position du salarié : le manquement de l’employeur ouvre nécessairement droit à indemnisation
Un salarié, engagé comme opérateur machine depuis le 2 juin 2005, est déclaré inapte le 5 octobre 2017.
Son employeur, faute de reclassement, le licencie pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 13 novembre 2017.
Toutefois, l’employeur n’a pas informé le salarié des motifs empêchant son reclassement.
Le salarié saisit alors les prud’hommes pour obtenir des dommages et intérêts au titre de ce manquement.
La cour d’appel, bien qu’ayant relevé le manquement de l’employeur, rejette sa demande, considérant que le salarié n’a pas démontré l’existence d’un préjudice.
Le salarié se pourvoit alors en cassation, invoquant un préjudice automatique du seul fait du manquement de l’employeur.
3. La Cour de cassation exige la preuve d’un préjudice réel
La Cour de cassation valide la décision des juges d’appel et rejette l’argument du salarié.
Elle rappelle que le manquement de l’employeur à son obligation d’information ne donne pas automatiquement droit à réparation.
Pour obtenir des dommages et intérêts, le salarié doit démontrer l’existence d’un préjudice, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Cette décision s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle selon laquelle la violation de l’obligation d’information ne s’assimile pas à une violation de l’obligation de reclassement, laquelle entraîne des sanctions plus lourdes (Cour de cassation, chambre sociale, 9 mai 1990, numéro 86-41874 ; Cour de cassation, chambre sociale, 7 mai 2024, numéro 22-10905).
4. Une évolution jurisprudentielle vers une réparation conditionnée à la preuve du préjudice
Historiquement, la Cour de cassation considérait que l’omission d’information causait “nécessairement” un préjudice au salarié (Cour de cassation, chambre sociale, 19 janvier 1993, numéro 89-41780 ; Cour de cassation, chambre sociale, 24 janvier 2001, numéro 99-40263).
Le présent arrêt illustre un changement d’approche :
• Depuis 2016, la jurisprudence impose la preuve du préjudice subi comme principe général (Cour de cassation, chambre sociale, 13 avril 2016, numéro 14-28293).
• Désormais, les cas où le préjudice est présumé deviennent l’exception (Cour de cassation, chambre sociale, 13 septembre 2017, numéro 16-13578 ; Cour de cassation, chambre sociale, 12 novembre 2020, numéro 19-20583 ; Cour de cassation, chambre sociale, 28 juin 2023, numéro 22-11699 ; Cour de cassation, chambre sociale, 4 septembre 2024, numéro 23-15944).
Cette décision réaffirme la nécessité pour le salarié d’établir concrètement l’existence d’un préjudice avant d’exiger réparation.
Conclusion
Cet arrêt du 29 janvier 2025 marque une confirmation de la jurisprudence récente :
• L’omission d’information sur les motifs du non-reclassement ne suffit plus à justifier automatiquement une indemnisation.
• Le salarié doit prouver un préjudice réel, dont l’appréciation est laissée aux juges du fond.
• La jurisprudence évolue vers une réparation conditionnée à la preuve du préjudice subi, limitant ainsi les recours systématiques des salariés en cas de manquement purement formel.
Les employeurs doivent toutefois rester vigilants : le respect de l’obligation d’information reste une obligation légale dont la violation peut, dans certains cas, entraîner une indemnisation si un préjudice est prouvé.
Cour de cassation, chambre sociale, 29 janvier 2025, numéro 23-17647