Travail à temps partagé : quelle entreprise est responsable en cas de harcèlement d’une salariée durant une période de mise à disposition ?
1. Le cadre du travail à temps partagé
Le travail à temps partagé permet à une entreprise de travail à temps partagé (ETTP) de mettre à disposition, à titre lucratif, des salariés qualifiés auprès d’entreprises utilisatrices.
Deux contrats sont nécessaires : un contrat de travail entre le salarié et l’ETTP, et un contrat commercial de mise à disposition entre l’ETTP et l’entreprise utilisatrice.
Pendant la mission, l’entreprise utilisatrice est responsable des conditions d’exécution du travail, notamment en matière de santé et sécurité.
2. Les faits de harcèlement signalés
Une salariée engagée par une ETTP en contrat à durée indéterminée avait été mise à disposition d’une société utilisatrice comme ingénieure HSE.
Elle a subi des faits de harcèlement moral et sexuel pendant cette période, entre janvier et mai 2016.
Elle a assigné les deux entreprises en réparation du préjudice subi.
3. Les arguments de l’ETTP pour contester sa responsabilité
L’ETTP estimait que la responsabilité en matière de sécurité incombait exclusivement à l’entreprise utilisatrice pendant la mise à disposition.
Elle considérait que le harcèlement résultait uniquement du comportement de la société utilisatrice.
Elle soutenait qu’aucun manquement ne pouvait lui être reproché, faute de faits survenus en dehors de la période de mission.
4. La position de la Cour de cassation sur l’obligation de sécurité
La Cour rappelle que l’entreprise de travail à temps partagé et l’entreprise utilisatrice sont conjointement tenues à une obligation de sécurité (articles L. 4121-1 et L. 1252-4 du Code du travail).
Chaque entreprise doit prendre les mesures nécessaires pour prévenir les faits de harcèlement (articles L. 1152-4 et L. 1153-5 du Code du travail).
En l’espèce, aucune des deux entreprises ne démontrait avoir satisfait à cette obligation.
Elles ont donc été condamnées in solidum au versement de dommages-intérêts.
5. Autres griefs : prêt illicite et marchandage
L’opération était également entachée de prêt de main-d’œuvre illicite, car l’entreprise utilisatrice disposait des moyens de recruter elle-même un ingénieur HSE.
Elle relevait aussi du délit de marchandage, la mise à disposition ayant permis d’éluder les règles de la convention collective des industries électriques et gazières.
Ces irrégularités ont justifié une condamnation supplémentaire des deux entreprises.
6. La Cour exclut une requalification en CDI avec l’entreprise utilisatrice
La salariée avait obtenu en appel la requalification de sa relation de travail en CDI avec la société utilisatrice.
La Cour de cassation censure cette décision.
Elle rappelle que, dans le cadre du travail à temps partagé irrégulier, le contrat de travail reste exclusivement lié à l’ETTP, même si celle-ci agit en dehors du périmètre légal de l’article L. 1252-2 du Code du travail.
Il n’y a pas lieu ici de transposer les règles de l’intérim permettant une requalification dans l’entreprise utilisatrice.
Référence
Cass. soc. 27 mai 2025, n° 23-21926 FSB.